Si la littérature contemporaine suisse francophone peine à se faire connaître en dehors des frontières du pays – exception faite de quelques noms bien connus – elle a en revanche à son actif la chance de se trouver parée d’un voile de confidentialité qui lui donne un caractère autrement précieux. Méconnue, aujourd’hui presque exclusivement lue par une poignée de romands, elle n’en est que plus intéressante car comme dit le dicton : ce qui est rare est cher.
Mais qui commence à s’y intéresser s’apprête à plonger dans un océan d’intelligence, de finesse et de sensibilité, loin des coraux « bling-bling » et des poissons aux couleurs flatteuses. Dans cette mer au calme apparent : des bleus céruléens, des verts ondoyants, des gris perlés, une lumière tamisée, des contours un peu flous et des odeurs délicates. Et puis du trouble, de la nuance, des camaïeux : de la modestie somme toute.
Reynald Freudiger est un écrivain que l’on ne présente plus dans les contrées helvètes. Auteur d’Àngeles (Éditions de l’Aire, Prix Roman des Romands 2012), du Roman de Madame Pomme et de La Véritable Histoire de Luz Nieve, il ne cesse de voir son œuvre saluée par la critique. Vanité, son dernier né dont je vous parle ici, vient d’ailleurs de se voir couronné du prix Bibliomédia 2023.
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C’est pour Tangerina que César Amadeus joue son Éternité ce jour-là.
Tangerina est née à Lisbonne, dans le vieux quartier d’Alfama, et a grandi à Bex, avec sa mère, sous une affiche du Montreux Jazz Festival. Elle a été élève au Gymnase de Burier, une élève brillante, d’après le professeur Sissoko, doublée d’une guerrière de la cause animale – condamnée même à la prison.
Sa vie valait bien un roman. Lilas en est persuadée. Ce roman s’appelle Vanité. Il dit l’empire des rituels sur nos vies en exil.
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Partout, dans toutes les chroniques faites au sujet de Vanité, vous apprendrez que ce roman est une toile d’existences fragiles et denses qui s’apprêtent à se télescoper,
que chaque chapitre – portant le nom d’un de ses personnages – commence par l’adverbe « rituellement »
et que chacun desdits personnages porte en lui un routine intérieure qui, dans une situation donnée, fait de lui ce qu’il est.
Soit.
Sauf qu’une fois cela dit, on n’a pas dit grand-chose.
D’autant plus que ce n’est pas vraiment ce qui fait de ce roman un texte brillant, superbement construit et intelligent.
Si la narration est tendue, la plume vive et le ton parfaitement à propos, on se plait à ne trop savoir où l’auteur nous mène. Cette succession de regards et d’échos qui semblent n’avoir que peu de lien entre eux nous entraine dans un vacillement délicieux, impatients que nous sommes de faire nôtre le twist final qui éclairera l’ensemble.
Et on a beau l’attendre, on ne peut empêcher la surprise de nous envahir une fois ledit chapitre venu. C’est aussi simple qu’éblouissant. Imparable, littéralement.
La langue de Reynald Freudiger est efficace, sensible et juste. Il y a de la retenue dans son écriture, une certaine modestie, typique des auteurs romands. De quoi donner naissance à un texte proche de son lecteur·ice, fleurant bon l’intime et le vécu.
Une belle découverte dans laquelle mélancolie, joie et force offrent une valse à trois temps savoureuse.
Effectivement, je trouve que nous autres Français avons un peu de mal à nous ouvrir à la littérature francophone, à l'exception de quelques sommités. Je note donc cette référence car cela élargira mes horizons et parce que cette belle chronique est aussi intrigante que convaincante ! (Sacha)