La semaine passée, je suis partie en Ardèche,
mon amoureux, mes filles et ma chienne en bandoulière.
La voiture n’étant pas extensible, nous avons emporté le minimum.
Pour moi, ce minimum était fait de trois shorts, trois t-shirt et deux livres.
J’ai terminé le premier (Yes vegan de Catherine Hélayel) en deux jours,
tandis que le deuxième (Alexis Zorba de Níkos Kazantzákis) me tombait littéralement des mains.
Aussi, je me retrouvais dans la situation inouïe d’avoir du temps pour lire et rien à mettre sous mes yeux. J’ai bien essayé d’y remédier en allant faire un tour à la boîte à livres du village non loin duquel nous étions, mais à l’exception d’un petit roman pour la jeunesse désespérément daté et d’un autre à l’eau de rose qui l’était tout autant, je n’ai pu assouvir ce besoin.
Alors j’ai attendu :
les pénates. La bibliothèque débordante. Les merveilles certaines.
Une semaine plus tard, retour au bercail.
Bagages : rangés. Chien : promené. Courses : faites. Lèvre de l’enfant n°1 ouverte sur un jouet : soignée.
Ouverture (enfin!) d’Une activité respectable de Julia Kerninon.
J’étais excitée comme une puce.
Affamée.
Enfin, des mots (et des beaux),
là, sous mes yeux.
« Ma vie je la passe à lire des livres pour remettre les choses en place, pour me déplier, et c’est comme chanter tout bas à ma propre oreille pour me réveiller. »
C’est un très court texte, je l’ai lu dans la soirée.
Et quand je l’ai refermé, je me suis sentie en paix.
Grâce aux pages de Julia Kerninon (dont j’affectionne infiniment le travail) je terminais de comprendre quelle lectrice j’étais, et mettais des mots sur cet état de désespérante attente qui avait caractérisé cette semaine sans livre.
*
« Nous avions beaucoup, beaucoup de chance, me disait ma mère, parce que nous avions les livres et que dans les livres les phrases étaient éternelles, noires sur blanc, solides, crédibles, et elles nous livraient le monde entier, lavé de ses scories, sans temps mort, un cours d’eau pur et bondissant, un monde dans lequel nous pouvions nous échapper chaque fois que le monde réel cessait d’être intéressant. Et cette leçon-là était une grande leçon aussi, pour quelqu’un qui voulait devenir écrivain. »
Élevée par des parents dévoreurs de livres, Julia Kerninon reçut à cinq ans en cadeau une machine à écrire. Lire et écrire furent d’emblée données comme des activités respectables et hautement désirables.
L’éditeur ajoute :
Dans une langue vive et imagée, cette jeune femme de trente ans, déjà prix Françoise Sagan pour son premier roman, Buvard, et prix de la Closerie des Lilas pour son deuxième, Le dernier amour d’Attila Kiss, rend un hommage vibrant à la Littérature.
*
Durant cette semaine de vacances, mon mari me voyant errer dans notre roulotte en cherchant désespérément quelque chose d’imprimé (et d’évocateur) à mettre sous mon regard, me disait : Profite ! Il y a pleins d’autres choses à faire, à vivre. Pense, respire, réfléchis.
Trois activités avec lesquelles la jeune femme brusque et pressée que je suis est relativement mal à l’aise.
Car voyez-vous, j’ai l’impression de me voir lorsque Julia Kerninon écrit :
« Je vis la même journée depuis vingt-cinq ans et j’en ai déjà trente. Toute petite alors, dans mon pyjama soyeux, tôt le matin, je suivais mon père qui me tenait par la main dans l’obscurité de l’escalier menant à notre cuisine, je le laissais me soulever pour m’assoir sur ma chaise et, dans les murmures de sa radio, je prenais mon petit-déjeuner face à lui les yeux fixés sur un livre dont il fallait plus tard m’arracher par surprise pour m’emmener me laver. Dans la douche, à travers l’eau ruisselante je cherchais du regard tous les mots imprimés, je lisais les notices de shampoing, les six faces des boîtes de tampons de ma mère, les étiquettes douces de me vêtements. Je ne faisais pas de bruit, à cette époque, et je n’écoutais personne vraiment au-delà des quelques secondes nécessaires pour découvrir un fragment de texte à lire dans un périmètre proche. »
Les romans sont ma boussole. Mon empêcheur de tourner en rond. Mon guide en tout. Mon échappée.
Sans eux, je ne suis pas seulement perdue, je ne suis tout bonnement plus moi-même. Ils font partie de moi, ils sont mon rapport au monde, ils disent le regard que je pose sur lui.
Les livres sont ce que je chéris plus que tout, ils sont ma came, mon alpha et mon oméga.
Mon activité respectable à moi.
Ce texte, sublime, juste, somptueux de précision et de grâce, lui rend magnifiquement hommage.
Une fois de plus, cette écrivaine me touche au cœur.
Enfant, j’aurais pu dire :
moi, quand je serai grande, je voudrais être Julia Kerninon.
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