Comme nous sommes nombreux.ses à le faire, je regarde toutes les semaines La grande Librairie avec passion. Chaque soir ou presque, j’en ressors enthousiasmée, désireuse de faire mienne une infinité de textes, de les intégrer à ma bibliothèque intérieure et les faire vivre dans mon cœur.
Il m’arrive pourtant souvent d’être déçue par ces lectures.
Figurer à la Grande Librairie constitue un véritable graal pour les auteurs.ices, la panacée pour leurs éditeurs : l’enjeux est énorme. Et il me semble relativement sensé de s’interroger quant à la manière dont sont choisis les livres programmés.
Il y a les figures imposées, les auteurs.ices habitué.e.s, celles et ceux que l’on retrouve avec joie car iels sont à l’aise comme des poissons dans l’eau et capables d’aborder des thématiques aussi diverses que variées avec un talent inné. Il y a celles et ceux pour qui l’émission est une première mais qui défendent leur textes avec splendeur,
et il y a les premiers romans.
C’est souvent ceux-là qui m’intriguent le plus.
Et ces mêmes à l’issue de la lecture desquels nait la déception.
C’est plus ou moins ce qu’il s’est passé pour Nos insomnies de Clothilde Salelles, un premier roman découvert dans La Grande Librairie – il y avait été encensé.
Ravie de le trouver à la bibliothèque, je m’étais empressée de m’y plonger. Après tout, le sujet m’était sacrément familier (et puis j’apprécie beaucoup la collection L’arbalète de Gallimard.
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« Comme toutes les familles, nous avons un secret. Ce secret, c’était que la nuit, nous ne dormions pas ».
Dans un village de l’Essonne, à la fin des années 1990, une petite fille grandit au sein d’une famille en apparence sans histoires. Pourtant, elle perçoit confusément une menace. Il y a d’abord ce secret familial bien gardé, ces insomnies qui rendent les journées électriques. Il y a ces mots redoutables – lotissement, couloir aérien – qui résonnent comme de mauvais augures. Et puis il y a le père, irascible et distant, qui demeure un mystère pour la fillette. À mesure que les mois passent, le huis clos familial se fait oppressant. Jusqu’à ce qu’un drame survienne, que personne ne nomme…
L’éditeur ajoute : Ressuscitant le monde de l’enfance et son inquiétante étrangeté, Clothilde Salelles explore dans Nos insomnies la question du tabou et le pouvoir ambivalent des mots, destructeurs et salutaires.
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Il n’y a pas à dire, Nos insomnies est un texte littéraire. Porté par une langue magnifiquement maitrisée. Celle-ci donne toute sa réalité à l’ambiance anxiogène, feutrée, menaçante que Clothilde Salelles appelle de ses vœux d’autrice. On n’a aucune peine à s’immerger dans le quotidien, glauque et pesant, de cette famille que la dépression chronique embrasse et que la mélancolie emporte. Aucune difficulté à sentir dans notre peau l’angoisse du jour suivant, celle de la présence du père, silencieuse et glaçante. La réalité du mal qu’est l’insomnie, quant à elle, est portée avec une justesse impressionnante.
Et je réalise maintenant que si j’ai été si soulagée de lire les dernières pages – lumineuses, tranquilles – c’est que le contrat passé avec le.a lecteur.ice a été honoré. On y croit. C’est un véritable bonheur de plonger dans la douceur des pages post-drame.
Il n’empêche qu’au milieu, il manque quelque chose, et pas des moindres : une narration.
J’ai l’impression d’avoir été plongée (tête la première) dans un quotidien familial,
et laissée là en observation,
attendant désespérément qu’il se passe quelque chose.
Mais rien n’arrivait.
Et même lors de la survenue du drame qui pourtant renverse le roman, ce n’est pas l’intrigue qui bascule, mais l’ambiance qui se modifie. Comme au théâtre, lorsque l’on change de décors.
Aussi, je n’ai pas partagé l’enthousiasme d’Augustin Trapenard et me suis réjouis d’entamer un autre roman, un texte porté par une langue certes, mais aussi par un récit ébouriffant.
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