Le village de l'Allemand, Boualem Sansal.
- loudebergh
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Jeudi 27 mars dernier, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal a été condamné à 5 ans de prison. Enfermé depuis 5 mois déjà, il subit les conséquences d’une pensée libre dans un état qui ne l’est pas. Porteur, depuis des années, d’un regard sur le monde sans concession, il est celui qui porte la plume dans la plaie d’une histoire qui saigne encore.
Sa langue est d’une radicalité sans nom, d’une sincérité à nulle autre pareil. Incandescente, musculeuse et puissante, elle se lit la rage au cœur, la sidération rivée à la pupille. On sent l’auteur à vif derrière un discours d’une précision et d’une intelligence remarquable.
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Les narrateurs sont deux frères nés de mère algérienne et de père allemand.
Ils ont été élevés par un vieil oncle immigré dans une cité de la banlieue parisienne, tandis que leurs parents restaient dans leur village d'Aïn Deb, près de Sétif. En 1994, le GIA massacre une partie de la population du bourg. Pour les deux fils, le deuil va se doubler d'une douleur bien plus atroce : la révélation de ce que fut leur père, ce SS Allemand qui jouissait du titre prestigieux de moudjahid.
Basé sur une histoire authentique, le roman propose une réflexion véhémente et profonde, nourrie par la pensée de Primo Levi. Il relie trois épisodes à la fois dissemblables et proches : la Shoah, vue à travers le regard d'un jeune Arabe qui découvre avec horreur la réalité de l'extermination de masse ; la sale guerre des années 1990 en Algérie ; la situation des banlieues françaises, et en particulier la vie des Algériens qui s'y trouvent depuis deux générations dans un abandon croissant de la République.
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J’avais déjà lu les mots de l’auteur franco-algérien, mais je n’en avais conservé qu’un souvenir un peu flou. Je l’ai redécouvert à travers les 5 épisodes d’entretiens façonnés par France Culture. Sa parole m’a passionnée, je lui ai trouvé un écho formidable et ai eu envie de la retrouver dans ses textes romanesques.
Le village de l’Allemand est un texte important qui hante longtemps. Il est rempli de parallèles aussi audacieux qu’inouïs, qui disent tous la responsabilité des hommes, quelque soient leurs actes. Entre ses lignes, Boualem Sansal donne naissance à une pensée complexe et référencée, une pensée hors des sentiers battus qui a pu déranger – et qui dérange encore –, mais une pensée d’une sincérité renversante. Sa parole est celle de la colère, de l’honnêteté intellectuelle et de la liberté, absolument.
« Et moi en dix petits mois je suis passée de l’insouciance la plus crasse à un état de crise permanente, quelque chose entre folie, rage et l’envie de courir me noyer à l’autre bout du monde. »
Il faut lire Boualem Sansal, et plus encore aujourd’hui. Car la place d’un écrivain, on ne le répètera jamais assez, n’est pas en prison, elle est dans ses livres, sous nos yeux, entre nos mains et dans nos cœurs, dans nos librairies et nos bibliothèques, dans les salles de conférences et les salons littéraires. Et même entre quatre murs, sa pensée ne doit pas s’éteindre. Il en va de notre humanité, à toutes et à tous.
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