J’avais onze ans lorsque j’ai pleuré pour la première fois en refermant un livre. Je m’en souviens comme si c’était hier. J’étais dans la chambre d’une amie, étendue sur son lit. Entre mes mains, je tenais Soldat Peaceful de Michael Morpurgo. Sa couverture brune, comme un vieux carnet, cette ficelle qui le maintenait, et un œillet, juste sous le titre.
Si j’étais déjà une grande lectrice, c’est ce jour-là je crois, que j’ai pris conscience de l’ampleur du pouvoir de la littérature. Et de l’immensité de la mission qui se dessinait pour moi : vivre par et pour les livres.
Il y a quelques jours, une lectrice de la bibliothèque dans laquelle je travaille remarque la petite note « Coup de cœur » que j’avais fixée sur la couverture du même Soldat Peaceful. Touchée par mes mots, elle redescend l’escalier en colimaçon, le livre dans les mains, et me dit: « Vous savez, moi, j’ai pleuré en entendant Michael Morpurgo à l’occasion d’une conférence, à Londres. C’était un des plus beaux moments de ma vie. »
Et je la crois volontiers. On ne peut pas être autre chose qu’un homme exceptionnel lorsque l’on est capable, une vie durant, d’écrire de telles merveilles pour la jeunesse.
Cette discussion m’a donné envie de me replonger dans l’œuvre de l’auteur britannique, en commençant par Le Royaume de Kensuké — illustré dans sa magnifique première édition française par François Place — un roman d’apprentissage aux allures de Robinson Crusoe, vivant, intelligent et bouleversant.
Et à nouveau, je dois avouer, ma gorge s’est serrée et les larmes me sont montées aux yeux.
*
Le 10 septembre 1987, Michael embarque avec ses parents et leur chienne, Stella, sur un voilier pour faire le tour du monde. Ils s’arrêtent, parfois, pour de fabuleuses escales, Afrique, Amérique, Australie, jusqu’au jour où survient un terrible accident. Le jeune garçon se retrouve échoué, avec sa chienne, sur une île déserte perdue au milieu du Pacifique. Va-t-il pouvoir survivre, affamé, menacé par toutes sortes de dangers? Reverra-t-il jamais ses parents?
Un matin, alors que l’épuisement le gagne, Michael trouve auprès de lui un peu de nourriture et d’eau douce. Il n’est pas seul…
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Le royaume de Kensuké est un texte sublime sur la force de l’amitié, une incroyable aventure capable de vous transporter au bout du monde, et une magnifique leçon de sagesse.
Il touche juste. À chaque instant.
Je ne sais d’où Michael Morpurgo tire ce pouvoir, mais ce qu’il a entre les mains en est un. La langue que son cœur porte en est un. Les idées auxquelles elle donne corps aussi.
C’est déjà une grâce que de savoir raconter des histoires, c’en est une autre de le faire avec cette finesse, cette humilité et cette grandeur.
La langue est simple, blanche, sans effet de style aucun, mais ce qu’elle révèle a l’éclat des morceaux de soleil sur la surface d’un lac en fin d’après-midi.
Elle met en lumière l’endroit de la vérité, de l’intelligence et du courage.
Quoi de plus nécessaire pour une jeunesse avide de questions autant que de réponses?
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