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Photo du rédacteurloudebergh

La colère et l'envie, Alice Renard.


C’est mitigée en diable que je referme La colère et l’envie d’Alice Renard. 

Car si j’ai été littéralement emportée par la première moitié du texte, cette alternance de regards et de voix de la mère et du père d’Isor au sujet de leur fille – brillante, touchante, très réussie – j’avoue émettre quelques doutes quant à la deuxième moitié. 

Je le sais, la littérature n’a pas "à faire vrai", 

elle n’a aucun compte à rendre à la réalité. 

Pourtant, quand quelque chose semble soudain fort peu plausible, il y a comme une rupture du contrat passé avec le.a lecteur.ice. 

Et on le.a perd (un peu). 


*


Isor n’est pas comme les autres : c’est une petite fille mutique, rejetant les normes. 

Quand elle rencontre Lucien, un voisin septuagénaire, l’alchimie opère immédiatement entre ces âmes farouches. 


*


On le comprend dès les premières lignes, Isor souffre d’un trouble du spectre autistique si lourd qu’il l’empêche de parler, de fonctionner ou d’apprendre quoique ce soit. Ayant fait le choix, pour son bien et le leur, de l’extraire du système, ses parents et elle vivent en vase clos. Ils s’arrangent et font profile bas. Attendant chaque colère d'Isor avec angoisse, la laissant passer en tendant le dos, s’arqueboutant sur leur morceau de réalité. 


La première partie du récit – idée sublime – voit se donner la réplique les voix du père et de la mère, leur regard sur leur fille, ce qu’ils.elles ont appris de son fonctionnement, et l’amour qu’ils.elles lui portent malgré cette vie au bord du gouffre.

Et c’est d’une beauté renversante. 


Le train-train quotidien se voit bouleversé par l’arrivée dans leur vie de Lucien. 

Plus de dialogue entre les visions à cet instant, seul celle de Lucien compte désormais. 

On découvre sous sa plume le bonheur infini qu’a constitué l’arrivée d’Isor dans sa vie. 

La joie retrouvée, la routine à jamais bouleversée. 


Et puis arrive l’impensable, l’inimaginable – que je ne vais pas divulgâcher ici, ce serait bête. Les premières pages de ce renversement sonnent comme une revanche sur la vie, et c’est merveilleux. Mais sans vraiment savoir quoi, quelque chose dérape. On sort du plausible, on perd le lien avec la réalité, et quelque chose se casse. 

Ce qui faisait ce qu’était Isor s’effondre – et c’est tant mieux – mais cela ne sonne pas complètement juste. Nous voilà déstabilisés, et un peu déçu.e.s. 

Et puis cette relation entre elle et Lucien – qui débute comme une grâce – verse lentement du côté du malaise. Que représente réellement Isor pour Lucien?

Alice Renard semble ne pas être parvenue à faire de choix entre deux histoires qu’elle souhaitait raconter. Elle les a mêlées, cela a fonctionné un temps avant de s’effondrer. 


Et pourtant, 

pourtant. 

La colère et l’envie frappe au cœur et au corps. La langue, fracassée, tourneboulée, est infiniment poétique. Cela relève presque du virtuose. Réparateur de tous les maux. 

On en redemanderai presque le roman finissant, parce qu’Alice Renard a réussi le tour de force de ne pas nous lâcher la main, et de garder notre âme en haleine jusqu’au bout. 

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