« Je ne sais pas pourquoi il nous est donné d’être tellement mortels et d’éprouver tant de sentiments. C’est une blague cruelle, et magnifique. »
Comme l’est ce roman de Louise Erdrich : une symphonie déroutante et sublime.
Mais voilà que je patine.
Alors que je tente désespérément de poser quelques mots sur cette lecture – à chaud, un sentiment de vide, grave et pesant, m’étreint.
Pas le meilleur moment, me direz-vous.
Peut-être.
Pourtant, j’ai l’impression que cette émotion est autant la résultante de cette lecture, que la perspective d’en faire quelque chose de tout aussi troublant.
Alors je m’attelle à la tâche, le front bas, le cœur serré.
*
Notre monde touche à sa fin. Dans le sillage d’une apocalypse biologique, l’évolution des espèces s’est brutalement arrêtée, et les Etats-Unis sont désormais sous la coupe d’un gouvernement totalitaire et religieux, qui impose aux femmes enceintes de se signaler.
Mais quand Cedar Hawk Songmaker, une jeune indienne adoptée à la naissance par un couple de Blancs, apprend qu’elle attend un bébé, elle est déterminée à le protéger coûte que coûte…
L'éditeur.ice ajoute :
Avec ce roman dystopique, Louise Erdrich nous entraîne bien au-delà de la fiction, dans un futur effrayant où les notions de liberté et de procréation sont des armes politiques. Mais elle nous rappelle aussi la force de l’imagination, clé d’interprétation d’un réel qui nous dépasse.
*
L’enfant de la prochaine aurore n’a rien d’un texte facile.
Il donne à lire des pages d’une intensité redoutable (relevant parfois du chant mystique, de la verve philosophique, du thriller aussi) et d’autres d’une mollesse sans nom, au cours desquelles on se demande bien ce que l’on a sous les yeux.
Les idées qu’il porte nous semblent tantôt grandioses, exceptionnelles d’intelligence et terriblement à propos,
et parfois complètement à côté.
Les premières pages sont admirables, la fin désespérément parfaite, et le corps du texte regorge de trouvailles. Souvent pourtant, des îlots d’ennui, flous et ternes, apparaissent à l’horizon.
Contrairement à ce que le synopsis pourrait laisser à penser, nous voilà devant un récit qui ne se laisse pas facilement attraper.
Plusieurs fois je me suis dis L'enfant de la prochaine aurore est un grand texte.
Et quelques secondes plus tard :
Mais il manque définitivement quelque chose.
Quoi?
Difficile à dire.
Il y a comme des lacunes dans le dispositif de la dystopie. On est à la fois trop proches (temporellement) du cataclysme et trop lointains. Comme si l’autrice nous laissait le soin d’élaborer nos propres théories quant à ce qui a pu conduire le monde là où il en est en nous fiant à ce que nous avions pu lire ou voir plus tôt.
Deux raisons possibles à cela:
L’autrice a délibérément choisi de nous laisser dans un état de pseudo-incertitude tout le long du roman (quant aux réalités scientifiques et génétiques auxquelles elle expose ses personnages). Mais je pense que ce choix peut être remis en question tant il impacte négativement le récit.
Louise Erdrich a subitement été prise d'apathie au moment d’élaborer une fiction dystopique se tenant de bout en bout. Il y a trop de flous, trop d’approximations dans le récit.
Les dystopies ont souvent à leur avantage de tomber très juste. De prédire les choses. Et faire ainsi figures de pythies.
Mais dans le cas de L’enfant de la prochaine aurore, on se doute que l’avenir ne sera jamais de cet acabit – ce qui n’est pas un problème en soit, mais c’est quand même un élément qui nuit
tant au genre qu’au récit.
À cette situation dystopique bancale, s’ajoute la question des origines (pourtant fondatrice au début du livre) noyées dans le cataclysme ambiant, une relation parent-enfant (essentielle) qui subitement disparait, à peine une amorce de réflexion politique quant à la fragilité de nos institutions, sans parler de celle au sujet du lien entre religion et fanatisme, qui meurt à peine née.
La fin pourtant, emporte tout. Sublime, parfaite et terrifiante.
C'en est rageant.
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