Bleu d'août, Deborah Levy.
- loudebergh
- il y a 3 jours
- 2 min de lecture

Fréquemment amenée, de par mon métier de libraire, à parler des livres que je lis, je constate que ce sur quoi les gens m’interrogent de prime abord – l’histoire/le synopsis, appelez cela comme vous voulez – se perd presque toujours dans les limbes de mon esprit et laisse ma mémoire plus vide que le ciel. Quelques mois seulement après une lecture, je suis bien souvent incapable d’un faire un « résumé ».
Je ne m’en offusque cependant pas car cela n’a, à mon sens, aucune importance. Il y a la quatrième de couverture pour cela.
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Au sommet de sa carrière, Elsa M. Anderson perd ses moyens et quitte la Salle dorée de Vienne en plein récital du Concerto n°2 de Rachmaninov. Une fuite en avant qui prend rapidement la forme d'une quête d'identité.
À Athènes d'abord, dans un marché aux puces, où la jeune pianiste observe une inconnue affublée d'escarpins en peau de serpent en train d'acheter une paire de petits chevaux mécaniques. Elsa ne peut alors s'empêcher de convoiter les mêmes objets, comme s'ils détenaient la clé d'un secret bien enfoui en elle.
D'Athènes à Londres puis à Paris, au fil des réapparitions soudaines de ce mystérieux double en talons hauts qui semble la poursuivre.
Et l'éditeur d'ajouter: Bleu d'août dresse le portrait éblouissant et virtuose, tout en mélancolie et métamorphose, d'une femme empêchée de jouer sa partition tant qu'elle ne se confronte pas à son passé.
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Si je me souviens rarement des synopsis, je garde longtemps en mémoire le souvenir de la langue qui a porté ledit texte et celui des images – nombreuses – qui ont germé dans mon esprit. Et croyez-moi, même des années plus tard, elles sont toujours aussi vives.
Celles qui sont nées de Bleu d’août de Deborah Levy ne feront pas exception.
J’ai découvert ce texte sur le compte Instagram de Julia Kerninon, l’une des autrices françaises que j’admire le plus sincèrement : une photo – même pas belle –, pas un mot, le tour était joué, le dé lancé, le filet jeté. Je savais que le dernier né de Déborah Levy serait un très grand livre.
Comme l'autrice nantaise, j’ai été frappée par sa langue d’une finesse absolue et sa capacité à faire naître des images qui ont frappé ma rétine si fort qu'elles sont encore là, tapie derrière mes paupières.
Entre ses phrases j’étais comme au musée, petite fille ébahie devant un morceau de beauté.
Et les mots qui en couvraient les lignes m’ont touchée plus que ce que j’ai d’abord bien voulu admettre. Ils me parlaient à moi, rien qu’à moi. À la petite fille que j’avais été. À la femme que j’étais devenue, un peu flottante parfois, jamais vraiment au bon endroit. Et à celle qui peu à peu avait appris à renouer avec deux émotions lentement enfouies durant l’enfance : la rage et la tristesse.
Et c’est peut-être pour cela qu’Elsa m’a tant ébranlée. Elle était un peu moi, ses souvenirs – certains obscurément – étaient aussi les miens et ont plusieurs fois accroché à mon œil une larme.
Bleu d'août est un sublimissime roman qui dit la solitude comme personne, la tristesse infinie d'une vie remplie de silences et la joie de parvenir un jour à habiter sa propre existence.
Une merveille!
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